Du 7 février 2014 au 30 mars 2014

Lettre ouverte du Bois Dormois à Eric Lejoindre

Le Bois Dormoy répond à l’article d’Eric Lejoindre, tête de liste socialiste à la mairie du 18ème, portant sur les jardins partagés et paru le 14 janvier 2014 sur le site de campagne d’Anne Hidalgo*.

Monsieur Lejoindre,

Vous affirmez la volonté de donner la priorité aux logements sociaux sur les espaces verts dans le quartier de la Chapelle, considérant le travail de M.Daniel Vaillant suffisant en la matière. Rassurez vous cependant, s’il est pauvre en espaces verts, le quartier de la Chapelle ne souffre pas d’un déficit de logements sociaux, selon la cartographie du Plan Local d’Urbanisme parisien**. Considérer les jardins partagés comme une simple question d’espace vert et d’urbanisme revient à voir le problème sous son aspect le plus étroit puisqu’il s’agit aussi de lien social, de politique publique et de démocratie.

Le Bois Dormoy est menacé depuis plusieurs années par un projet qui réunirait un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ainsi qu’une petite crèche, concernant au total une trentaine de personnes.

Bien sur, nous ne sommes pas contre la création d’un EPAHD dans le quartier de la Chapelle. Bien sur, nous, habitants du quartier, usagers du bois, constatons aussi le manque cruel d’infrastructures dans cette partie du 18ème.

Il nous semble cependant que le Bois répond à un besoin important dans le quartier de la chapelle : loin d’être une « dent creuse » , il permet au même titre que l’EHPAD un rapprochement intergénérationnel : outre le fait que des parcelles soient mises à dispositions d’une école maternelle et d’une association de personnes âgées, les familles cimentent le réseau d’adhérents et de visiteurs. L’EHPAD offrira certes quelques places d’habitation à des personnes âgées malades, mais dans le même temps, privera de nombreuses personnes d’un espace de lien social, de verdure et de proximité.

Il ne semble pas superflu de vous rappeler les termes du projet d’aménagement et de développement durable de la ville de Paris selon lequel :« l’amélioration de l’accessibilité des transports en communs, l’aménagement d’espaces verts (…) sont autant de mesures essentielles à la qualité de vie des parisiens âgés. » (page 26).

Le quartier de la Chapelle est un quartier déjà excessivement dense. Comme le rappelle le préambule au Plan Local d’Urbanisme de Paris « La conception du P.L.U. repose sur un équilibre entre l’objectif d’utilisation économe de l’espace et la nécessité de ne pas augmenter la densité au-delà d’un niveau qui serait préjudiciable à la qualité de vie des habitants et des usagers de la capitale. » (page 9).

Ayant conscience du bien fondé de ces recommandation du PLU, nous avons à plusieurs reprises soumis l’idée à la mairie d’implanter l’EHPAD dans le cadre du projet Chapelle international : cette proposition n’a fait l’objet d’aucune observation de la part de la mairie. Pourtant, la pertinence du lieu choisi pour accueillir des personnes malades laisse songeur : la cité de la Chapelle où se trouvera l’établissement est une rue étroite encombrée et à sens unique, dont les bâtiments absorbent les vibrations des trains qui passent à quelques mètres...

Vous mettez en avant la création du potager du toit de la Halle Fret à Chapelle International, projet intéressant, il est vrai, mais qui s’inscrit dans une logique différente de celle du Bois Dormoy. La Halle Fret est destinée in fine à l’exploitation commerciale de sa production maraichère. A l’inverse, le Bois Dormoy n’est pas un potager urbain : les quelques légumes qui y poussent n’ont pas vocation à être vendus. Le profit qu’il génère n’est ni quantifiable, ni chiffrable. En revanche, le Bois Dormoy procure des avantages incontestables en matière de biodiversité. Etrangement, alors que la mairie devrait se réjouir de cette niche verte, située au bord d’un axe routier, aucun inventaire de la faune et de la flore n’a été effectué, alors même que le plan de biodiversité de Paris voté par le conseil de Paris, l’exige.

Par ailleurs, une rectification s’avère nécessaire : le Bois n’est pas un espace qui a été prêté afin de rendre service à une association, contrairement à ce que vous semblez affirmer. L’association ne lui préexistait pas, sa création résulte de l’engouement suscité par un projet de quartier écologiste et ouvert, impliquant des personnes d’horizons sociaux différents. Est-il nécessaire de souligner que c’est l’appropriation du lieu par les citoyens qui a permis de transformer ce lieu sale et fermé, squatté par des toxicomanes, en un lieu de projets agréable et ouvert ? Ajoutons à cela que dès les années 1990, des riverains ont envoyé des courriers à la mairie pour signaler le potentiel du lieu et réclamer sa transformation en parc. Ces réclamations sont toujours restées lettres mortes.

Permettez-nous donc de reconsidérer le caractère éphémère du Bois Dormoy. De fait, en vingt ans d’existence, le Bois a fini par s’ancrer durablement dans la vie du quartier.

Vous faites également état d’une solution « de remplacement » passant par la création d’un cheminement piéton et végétalisé le long des voies de chemin de fer. En cette période d’austérité pourquoi augmenter la dépense publique en créant un espace vert à quelques mètres de là où la nature et le temps vous en ont fourni un ? Si ce n’est le bon sens, du moins la nécessité du recyclage devrait vous inciter à conserver cet espace vert déjà existant.

En bloquant votre position sur la question du Bois dans un simulacre de dialogue, vous ne faites que renforcer l’impression que la décision politique primera toujours sur l’initiative citoyenne. La pétition en faveur de la préservation du Bois Dormoy a rassemblé plus de 1500 signataires, mais la position de la mairie n’a pas évoluée : le manque de concertation sur ce projet est à déplorer.

En conclusion à votre article, vous évoquez une possible jurisprudence en faveur de la pérennisation des jardins partagés « qui rendrait nécessairement les choses beaucoup plus difficiles pour les demandes suivantes. » Nous regrettons que les parisiens désireux de s’investir dans leur quartier et dans un tel laboratoire de citoyenneté, soient menacés de représailles.

La force qu’a offert l’élection à vos prédécesseur est à trouver dans la confiance des habitants du 18ème. Il est demandé au politique de répondre aux citoyens, non pas par la menace, mais par le dialogue. Les citoyens sont tout aussi capable que leurs élus de rompre le contrat politique.

Pour toutes ces raisons, et parce que nous sommes convaincus de la légitimité de nos revendications, nous n’abandonnerons pas le Bois Dormoy à un projet qui refuse de considérer le droit des citoyens engagés pour le bien être de tous.

* Article d’Eric Lejoindre sur les jardins partagés

** Tous les documents d’urbanisme cités sont consultables sur le site de la mairie de Paris

Informations

  • Le Bois Dormoy, Cité de la Chapelle, Paris 75018
  • La fiche du jardin est ici